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Les messages des Ondes Sismiques
Laurent Guillot, Raphaele Millot Doctorants - Laboratoire de Sismologie Globale
Les tremblements de terre sont des catastrophes naturelles aussi meurtrières qu'imprévisibles. Dans l'espoir de les prévoir un jour, les géophysiciens ont cherché à les comprendre Ils ont ainsi appris à analyser les secousses du sol, et en cherchant à découvrir les mécanismes qui sont en jeu lors de ces secousses, ils ont aussi découvert une multitude de renseignements sur la structure et la dynamique de la Terre.
Si l'on creusait un trou en direction du centre de la Terre, on constaterait qu'au fur et à mesure que lon séloigne de la surface, la température augmente. Pour rétablir un équilibre thermique avec lespace environnant, les " boyaux " (J. Elder) de notre planète sactivent et de lents mouvements de matière solide brassent les profondeurs.
Quelquefois pourtant, vers la surface notamment, les roches sont trop rigides, trop dures, pour se déformer tranquillement comme des fluides. Elles résistent pendant quelques temps aux forces subies, accumulent de lénergie élastique, puis en des endroits de fragilité accrue, elles cèdent. De petites fractures se forment dabord, se rejoignent, et cest la rupture à grande échelle, brusque. Les deux blocs de part et dautre de cette cassure ou faille se déplacent tangentiellement lun par rapport à lautre, pour relâcher le trop plein dénergie élastique emmagasinée. Ces phénomènes (rupture, frottement rugueux sur le plan de faille) saccompagnent de lémission dondes mécaniques (voir le film) :
C est le déclenchement dun séisme, ou tremblement de terre. Comme une corde de guitare ou de piano que lon aurait frappée, la Terre vibre, à des fréquences qui lui sont propres.Nous aborderons ici les questions suivantes :
Comment enregistrer et quantifier les tremblements de terre ?
Comment interpréter les mesures de ces "bruits" de la Terre?
A lécoute des sons de la Terre...
Toute onde est sensible à certaines propriétés physiques du milieu quelle traverse, dautant plus finement que sa fréquence est élevée. Les ondes sismiques ont une fréquence qui peut varier entre 0.3 mHz (pour les oscillations les plus " graves " excitées par un séisme) et 200 Hz (en sismologie dexploration). Elles sont donc susceptibles dapporter des informations structurales sur une large gamme déchelles spatiales. Encore faut-il interpréter ces signaux, et avant tout, les enregistrer...
Comment enregistrer un sismogramme?
-historique: ce sont les chinois qui, dès 132 après J.C. ont fabriqué le premier appareil dobservation des tremblements de terre (Image 1). Il sagissait dun vase possédant 8 ouvertures en forme de tête de dragon, orientés vers les points cardinaux. A lintérieur, il y avait un mécanisme (probablement un pendule) capable de déloger de petites billes qui sortaient alors par une des tête de dragon, indiquant la direction de lépicentre. Cependant, il faudra attendre 1875 pour que litalien Felippo Cecchi construise le premier sismographe capable denregistrer le mouvement du sol en fonction du temps.
Image 1 : sismoscope chinois, premier instrument dobservation des secousses de la Terre.
-principe de base: il sagit dun pendule : une masse témoin est attachée à un ressort, lui même attaché à un bâti solidaire du sol. Lorsque le sol bouge, le ressort est entraîné par le bâti, ce qui provoque un mouvement de la masse. Daprès les équations de la dynamique, le mouvement de la masse est directement relié à celui du sol. La masse est également reliée à un dispositif denregistrement, ce qui permet dobtenir une trace du mouvement du sol en fonction du temps:
on l'appelle sismogramme (Image 2).
-dispositif denregistrement: les premiers dispositifs utilisés étaient optiques. On a ensuite utilisé dautres systèmes, notamment électromagnétiques, basés sur le principe de linduction. De nos jours, les sismogrammes ont encore changé de support pour être enregistrés sur bande magnétique avant dêtre finalement digitalisés. (Pour un peu plus de détail, voir plus loin)
-les réseaux globaux: depuis le milieu des années 70, les scientifiques du monde entier ont installé des réseaux de stations sismiques afin denregistrer en un maximum de points à la surface du globe les mouvements du sol, dus, entre autres, aux tremblements de terre. Si les premiers réseaux ont été développés par les Etats-Unis, la France nest pas en reste, grâce à son réseau GEOSCOPE. On peut voir sur cette carte la répartition des stations du réseau IRIS -U.S.A.- et GEOSCOPE -France- (Image 3). On voit que dans lhémisphère sud, il reste beaucoup de régions où il ny a pas de station puisqu'il ny a ni continent ni île. Un des pôles de recherche important en instrumentation sismique aujourdhui est la conquête des fonds marins et linstallation de stations sismiques " fond de mer ".
Les différents types d'ondes
Les mesures effectuées nont un sens que si lon possède une base théorique pour les décrypter. Les sismogrammes peuvent en effet apparaître au néophyte comme une suite dimpulsions difficilement interprétables. Les équations de la dynamique dans un cadre élastique peuvent être résolues de plusieurs manières, chacune sous-tendant une interprétation particulière du champ sismique.
La plus intuitive met laccent sur laspect propagatif des ondes, et fait apparaître deux solutions particulières pour un matériau homogène: les ondes P et S, dites de volume car elles sont susceptibles de se propager dans tout le volume du matériau.
Ces deux ondes sont facilement repérables sur les sismogrammes (Image 4) car elles sont les deux premières arrivées.
Deux caractéristiques permettent de les distinguer: leurs vitesses (londe P est plus rapide que la S), et surtout leur polarisation, londe P étant une onde de compression et londe S une onde de cisaillement (Image 4). Cette dernière propriété explique que les ondes S ne se propagent pas dans les fluides parfaits.
Il existe également des ondes qui se propageant à la surface de la Terre, les ondes de Rayleigh et de Love. Celles-ci naissent de l'interférence d'ondes de volume, incidentes et réfléchies à la surface de la Terre (Image 4). Elles sont appelées ondes de surface (pour un peu plus de détail, voir "les ondes de surface").
Il faut noter que les propriétés ondulatoires, que ce soit la vitesse de propagation ou bien la fréquence de vibration, dépendent des caractéristiques physiques des milieux traversés, comme leur masse volumique ou leurs constantes élastiques.
Energie sismique
Les habitants de San Francisco, à proximité de la faille de San Andreas, le savent: tous les tremblements de terre nont pas la même capacité destructrice. Cest parce que les séismes ne libèrent pas tous la même quantité dénergie. Cette énergie peut être mesurée de différentes façons, souvent relativement à une valeur-étalon, et l'on parle alors de magnitude sismique; léchelle de magnitude la plus connue est léchelle de Richter.
Toutes les ondes évoquées possèdent des caractéristiques qui leur sont propres, et les sismologues savent, de mieux en mieux, tirer parti de chacune pour progresser dans la compréhension du fonctionnement de la planète. Nous avons choisi dinsister sur deux points particuliers :
- la source du signal pour son apport dans la compréhension de la tectonique des plaques,
- la propagation des signaux dans le cur de la Terre pour en connaître la structure.
Remontons à la source... La source sismique (foyer ou encore hypocentre) est le lieu géographique originel de la rupture et donc de lémission dondes ; sa projection à la surface du globe sappelle lépicentre. Le procédé le plus simple pour localiser l'emplacement des foyers est de recueillir les signaux en plusieurs stations et de déterminer en chacune les dates darrivée dune phase de référence, par exemple londe P : la connaissance grossière de la structure de la Terre permet alors de localiser ce séisme dans le temps et lespace (pour un peu plus de détail, voir "les hodochrones"). Un réseau plus dense de stations permet daccroître très nettement la précision de cette première mesure.
En règle générale, les hypocentres se concentrent dans des zones particulières du globe terrestre sous forme détroites ceintures (Image 5), sauf lorsquils sont liés à lactivité humaine (injections hydrauliques dans des forages, explosions nucléaires). Cette distribution est fortement liée au découpage de la surface de la Terre en plaques tectoniques aux mouvements indépendants, les mouvements différentiels entraînant une accumulation de contraintes dans ces coques rigides. Le surplus de contraintes accumulées élastiquement se libère principalement au niveau des zones de fracturation préétablies que constituent les limites de ces plaques.
Les grandes zones tectoniques apparaissent dans des contextes :
-de compression (zones de subduction où une plaque plonge sous lautre comme la plaque Pacifique sous lAsie au niveau du Japon)
- dextension (dorsales océaniques, par exemple la dorsale Est-Pacifique)
- de cisaillement (lexemple bien connu de la faille de San Andreas). Une exception de taille à cette concentration des foyers est la zone de collision dAsie du sud-est (Himalaya-Tibet et grandes failles de Chine), où la sismicité est répartie sur une vaste superficie de plus de 3.106 km2.
La distribution sismique en fonction de la profondeur, encore appelée radiale, est également particulière (image 6): principalement localisée à une portion superficielle cassante, la lithosphère, elle se poursuit plus profondément au niveau des zones en convergence, le long dune surface dite plan de Wadati-Benioff, et ce quelquefois jusqu'à plus de 600 kilomètres. Ce plan est la trace sismique de la plongée de la lithosphère froide et rigide dans les profondeurs du globe.
Image 6 : Coupe perpendiculaire à la fosse du Japon, où sont reportés les foyers sismiques. Ces foyers se répartissent le long dune bande; des coupes similaires en dautres endroits de la fosse montrent des profils identiques. Les séismes en profondeur se répartissent donc le long dun plan dit de Wadati-Benioff, " image " sismique dune plaque subductant en profondeur.
Un modèle radial de l'intérieur de la Terre
Essayons de voir plus profondément encore l'intérieur de la Terre.
Les ondes sismiques se propagent à travers tout le globe terrestre. L'analyse d'un grand nombre de temps de trajets dondes de volume, pour différentes distances de la source à la station d'enregistrement a permis aux sismologues d'établir un modèle de l'intérieur de la Terre.
La présence sur les sismogrammes dondes de volume que lon ne prévoyait pas pour une Terre homogène et continue a permis disoler les grandes ruptures structurales du globe.
A une profondeur de 2900 kilomètres, la vitesse des ondes P chute brusquement, et les ondes S ne se propagent plus: la Terre, solide jusque là, devient liquide!
Puis, à 5100 kilomètres, il y a une nouvelle discontinuité, on repasse dans un solide!
Les indices apportés par dautres géosciences (géochimie, pétrologie, minéralogie) cumulés à ceux-ci font naître un modèle unidimensionnel de la structure de notre planète (Image 7 ) :
jusqu'à 2900 kilomètres, la Terre est un solide silicaté, constitué par une croûte, un manteau supérieur et un manteau inférieur;
les silicates sont ensuite remplacés principalement par un mélange fer-nickel, liquide (cest le noyau externe) puis solide (noyau interne ou graine).
De nombreux modèles sismologiques de référence, fournissant la distribution radiale des vitesses sismiques et de certaines autres propriétés physiques, ont été élaborés.
Le plus connu dentre eux est le PREM (pour: Preliminary Reference Earth Model, Image 8 ) de Dziewonski et Anderson (1981).
Un tel modèle est une excellente première approximation de la structure de la Terre.
Tomographie sismique: comment voir linvisible...
Analysons encore plus finement le message des ondes sismiques et les milieux qu'elles traversent.
Nous avons noté que les propriétés des ondes sismiques sont liées à certaines grandeurs physiques des roches, dont la masse volumique et les constantes élastiques. Toute variation latérale des premières fournit donc des renseignements sur les variations latérales des secondes. En faisant quelques hypothèses simplificatrices, si lon parvient à relier ces variations de densité et délasticité à des changements de température ou de composition du milieu traversé, la sismologie apparaît comme un outil de choix pour dévoiler la structure du globe en profondeur, et donner des clefs pour la compréhension de sa dynamique.
Vers une image de la Terre en profondeur
Le développement de limagerie de la Terre à partir de l'analyse des variations latérales de propriétés sismiques a vu le jour dans les années 1980. Cette méthode sappelle la tomographie, comme en médecine. Lune des idées centrales pour interpréter les cartes tomographiques est quune variation positive des vitesses sismiques, par rapport à un modèle de référence, se traduit comme la traversée par les ondes dun milieu plus froid que celui présumé (et inversement pour les variations négatives).
Evoquons simplement quelques résultats importants obtenus ces dernières années, et qui fournissent dintéressants éclairages sur la dynamique de la Terre:
-la dichotomie observée en surface entre continents et océans se poursuit "sismologiquement " en profondeur jusqu'à 300 kilomètres environ. Le manteau sous-continental est en général plus épais et plus froid que celui des océans, du moins dans les zones cratoniques (Image 9 );
-des flux ascendants de matière chaude sous les dorsales semblent sancrer à des profondeurs de 250-300 kilomètres au maximum, mais dans certaines régions (Pacifique Central, centre de lAfrique) les anomalies négatives de vitesses dondes S sobservent dans tout le manteau jusqu'à sa base;
-les points chauds, ces courants ascendants chauds très localisés, résistent pour linstant au scanner des tomographes, alors que les courants froids qui poursuivent les subductions en profondeur sont maintenant bien individualisés. Certains, mais cest peut-être transitoire, semblent sétaler à la frontière manteaux supérieur-inférieur à 660 kilomètres de profondeur, alors que dautres vont jusqu'à la limite noyau-manteau (image 10). Un tel résultat est important pour comprendre la dynamique mantellique et sa partition en plusieurs domaines;
-les 300 derniers kilomètres à la base du manteau constituent une zone très hétérogène, la zone D. Certains ont émis lhypothèse quune couche de matériel silicaté primitif den moyenne 1000 kilomètres dépaisseur tapisserait la base du manteau (voir chap. convection pour les développements);
-enfin certains sismologues ont mis en évidence, en utilisant lanisotropie des ondes (cest-à-dire la variation des propriétés ondulatoires en fonction des directions de propagation et/ou de polarisation), les mouvements convectifs dans la graine.
Vers la découverte de l'intérieur d'autres planètes
La sismologie est donc un outil de choix pour sonder notre planète: les signaux quelle étudie ont des fréquences qui permettent dimager une large gamme de structures terrestres, et ces signaux traversent le globe de part en part. Les modèles tomographiques sont de plus en plus précis, la résolution des hétérogénéités est de plus en plus grande. Le travail commun avec les autres géosciences accroît notre connaissance de la structure et de la dynamique de la Terre.
Mais les sismologues ne sarrêtent pas à la Terre solide: nombreux sont ceux qui sintéressent maintenant aux ondes océaniques et atmosphériques, et aux tremblements dautres planètes ou satellites, comme la Lune et bientôt Mars.
Après ceux de la Terre, la sismologie nous dévoilera certainement les secrets dautres endroits du Système Solaire...
Quelques précisions supplémentaires :
- Le dispositif d'enregistrement des sismogrammes
- Quelques simplifications pour les problèmes de propagation des ondes
Une hodochrone est une courbe de la distance à l'épicentre en fonction du temps de trajet. Les données recueillies et reportées sur une hodochrone pour un très grand nombre de sismogrammes sont peu dispersées. On a ainsi pu obtenir une hodochrone de référence en additionnant les signaux de nombreux sismogrammes (image 11 ). Cette courbe de référence permet de localiser très rapidement, et avec une assez bonne précision, les épicentres.
Editeur : G. Brandeis Page réalisée en Septembre 2001